vendredi 26 juillet 2013

Comprendre et faire face

C’est le titre que  Michèle Micas a donné à un des chapitres de son livre, c’est le cœur de sa démarche, comme c’est la nôtre. Sans comprendre on ne peut rien faire de constructif ni d’intelligent. La maladie d’Alzheimer induit des comportements  étranges, devant lesquels il est si facile de se scandaliser, ce qui engendre inévitablement des drames pour toutes les personnes concernées, alors qu’il est possible de rechercher, à condition justement de comprendre et de faire face, un niveau de vie optimal pour tout le monde.
 La maladie d’Alzheimer est un défi pour un nombre croissant de famille, pour relever ce défi,  le livre du Michèle Micas est une aide précieuse. « Comment vivre avec une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer » existe depuis 2003 (éditions J.Lyon) il a été réédité en 2006 et  en 2008 sous le titre plus court de « Alzheimer », ce qui est un peu dommage.
J’aurai tellement aimé pouvoir lire ce livre en 2006 quand j’ai été confrontée au diagnostic et je ne comprends  pas qu’il n’ait pas été plus et mieux diffusé par le milieu médical. Je recommande de commencer le livre à la page 87 pour les éditions anciennes, à la page 121 pour les éditions récentes au chapitre  « Comprendre et faire face ».
Michèle Micas est gérontologue et  psychiatre. Elle consacre le début de son livre à résumer tout ce que l’on sait médicalement de la maladie. Elle donne un panorama complet de toutes les hypothèses et des recherches en cours. Cette mise au  point  intéressera davantage les étudiants, les professionnels de santé ou les médecins généralistes que ceux qui sont confrontés quotidiennement à une longue liste de problèmes quotidiens.
On sent à la lecture que ce médecin gérontologue et psychiatre a vécu intimement son quotidien avec une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle a su manifestement comprendre et faire face. Elle se sert de son expérience de terrain et de son savoir pour répondre aux plaintes des patients et de leur famille. 
Elle donne des conseils précieux : 
« Considérez le bons sens et l’imagination comme vos meilleurs atouts.
Pratiquez l’art de la diversion…
Pratiquez l’art du réconfort…
Soyez prêt à répéter ce que vous attendez de lui. Votre impatience peut diminuer ses possibilités.
Ne lui posez pas de questions pour tester sa mémoire, vous ajouteriez à la confusion… »
Elle résume une plainte particulière décrivant une situation concrète qu’il est facile de reconnaitre et donne ensuite un ou deux éclairages qui permettent de comprendre  la situation (Explications possibles)  et des directions pour faire face (Solutions proposées). Elle déploie sous nos yeux un immense panorama de problèmes pratiques et vécus, en proposant chaque fois des solutions pour sauvegarder le bien-être du patient et celui de l’aidant, de manière à ce que  la personne qui souffre la maladie d’Alzheimer puisse être «à son niveau de vie optimal »
Parmi tous les exemples je retiendrai celui-ci : « Mr H refuse de quitter sa chambre jusqu’à ce que sa fille réalise que les sols trop luisants étaient confondus avec des flaques d’eau ». Son père avait peur de glisser et de se mouiller les pieds et il ne comprenait pas pourquoi les autres voulaient le faire  marcher dans des flaques d’eau. Là encore on voit que la première étape est de comprendre. Et pour cela il faut de l’imagination et une attention bienveillante.
Si le terme de démence est un terme médical que la communauté internationale des médecins ne veut pas abandonner à cause de son étymologie latine, pour le commun des mortels le terme de « confusionnite » serait plus opérationnel, car il indique dans quelle direction chercher quand il y a un problème. Où est la confusion ? Qu’est ce qui a été confondu avec quoi ? Comment prévenir ou empêcher la confusion de troubler le quotidien. C’est juste la qualité de vie qui en dépend, et c’est donc le cœur du sujet.
On voit que l’état du malade dépend de la manière dont on le traite, de la vie qu’on lui organise. Comme le dit Michèle Micas : « Une attitude adéquate constitue un soin véritable ».
 Et cela me permet d’enchainer sur « Alzheimer mon amour » de Cécile Huguenin (Editions Héloïse d’Ormesson 2011)
Son livre, très bien écrit m’a beaucoup touché, je l’ai lu trois fois pour m’apercevoir que nos chemins ne se rejoignaient nullement, même si son mari s’appelle aussi Daniel, si nous avons le même âge et certainement pas mal d’affinités. Je suppose qu’elle n’a pas lu le livre de Michèle Micas. 
Comme c’est une femme dynamique qui a beaucoup voyagé, elle a décidé de livrer un combat acharné contre la maladie d’Azheimer dans lequel elle a tout sacrifié et brulé ses bateaux. Elle n’a pas joué franc jeu avec les neurologues dont apparemment elle n’attendait rien. Elle a pris comme allié la nature, les promenades au bord de mer, puis le dépaysement exotique (la stimulation de la nouveauté) en s’installant à Madagascar. Elle pensait vaincre, c’est pourquoi ce livre se lit comme un roman. C’est l’histoire d’un combat plein de rebondissements.
Et là on est obligé de constater que le patient Alzheimer est tout entier aux mains de l’aidant, qui lui organise sa vie comme il l’entend : Je te mets dans une maison de retraite pendant neuf mois et puis je t’emmène à Madagascar et puis je te ramène, et puis…
Cette dépendance radicale est la caractéristique même de la maladie, cette dépendance aussi difficile à vivre d’un côté que de l’autre est une question de fond, à laquelle on ne prête pas attention tant on est pris par les urgences du quotidien. « Elle pleure, il la regarde étonné » Tout ce que l’un sent et exprime a des conséquences sur l’état de l’autre même si aucune action n’est entreprise. «C’est toi qui me harcèle, toi qui me tyrannises… Je suis devenue l’otage de ta maladie. Je suis ta prisonnière.» Que va ressentir celui dont le cerveau est abimé en face de mots qui l’accusent aussi cruellement, de mots qui sortent de la bouche de l’être qui est son seul point d’appui dans un monde qui lui échappe. La devinette n’en est pas une : il va sombrer dans un désespoir qui va aggraver l’état de son cerveau et sa dépendance.
 On voit que le combat contre la maladie devient le combat contre le malade (l’auteur fait allusion « à la bagarre de la toilette »), c’est lui qui devient l’ennemi. Malgré les apparences et les allusions à Boris Cyrulnik,  ce livre rejoint « l’Eclipse » de Rezvani et trahit son titre : on y cherche en vain l’amour, l’amour de l’autre. Il se résume ainsi : tout ce que l’on tente ne sert à rien, c’est un combat perdu d’avance, jetez l’éponge!
 C’est pourquoi, je me permets d’insister,  il est vain de combattre la maladie d’Alzheimer, il faut s’en faire une amie, autant que possible, pour pouvoir comprendre et faire face.
Notre société n’est pas trop dans cette démarche-là, on préfère protester, s’indigner et se scandaliser. Ce dans quoi excelle Françoise Laborde : Pourquoi ma mère me rend folle. (Éditions Ramsay 2002)
L’auteur se plaint que sa mère en plus de tout ce qu’elle lui a fait subir dans son enfance et son adolescence ne trouve rien de mieux que d’avoir la maladie d’Alzheimer ! Sa mère est une bourgeoise de province, ce qui est déjà terrible à vivre pour une fille éprise de liberté. De plus son père s’acharne à vouloir s’occuper de sa femme au lieu de la confier à des structures appropriées. Je trouve quant à moi ce père remarquable car il est plus âgé que sa femme. 
Ce qui m’interpelle chez l’auteur c’est sa propension à avaler du Lexomil en cas de conflit. Elle donne l’impression de vivre en permanence sous un stress maximum.  Son livre est enlevé, très bien écrit, dans la droite ligne de la pensée majoritaire de notre société d’aujourd’hui. Son récit est comme elle l’écrit elle-même « l’histoire noire de la déchéance annoncée ».
 La caractéristique d’un malade Alzheimer c’est qu’il ne peut pas gérer son stress et encore moins celui des autres. Pour que tout se passe le mieux possible le patient devrait être en rapport uniquement avec des gens calmes et apaisés. 
Annie Ernaux «Je ne suis pas sortie de ma nuit »  (Éditions Gallimard 1997)
L’auteur donne dans son livre une description fine, sensible, précise des états de sa mère, qu’elle prend chez elle dans un premier temps et qu’elle confie ensuite à une institution où elle lui rend visite tous les dimanches. On voit ainsi, comme si on y était, dans ce livre pourtant assez court, 115 pages en gros caractères, toute la vie de l’institution, on voit, on sent, on entend. 
En fermant le livre on a le sentiment d’avoir passé soi-même un certain temps, au milieu de ces patients et cela donne à réfléchir beaucoup. On peut certainement se dire : je n’aimerai pas finir ainsi. Pour ceux qui dépendent de moi, que faire ?
Je recommande chaleureusement ce livre, il est criant de vérité sur ce que c’est la vie quotidienne des patients Alzheimer dans une structure dite « adaptée », concoctée par notre société d’aujourd’hui si brillante et si performante à bien des égards.